UN CHASSEUR SACHANT CHASSER
La chasse est un sport viril, ça ne fait aucun doute. Les traditions ont la vie dure, et comme toutes les activités sportives, soumises à l'obtention d'un permis. Une fois en poche, tout ce qui vole, court, rampe, et arpente les forêts, sans permis, peut se trouver dans le viseur de votre arme dont le calibre est généralement plus élevé que votre QI. Aurions-nous tous besoin d'une proie pour évacuer nos pulsions les plus inavouables ? Le choix est vaste, limité à la rigueur aux lois en vigueur dans la contrée que vous parcourez l'oeil aux aguets.
Prenez la Norvège, par exemple.
Le commun des mortels est à cent lieues d'imaginer, contre toute attente, que le nuisible le plus fréquent n'est pas le loup ou l'ours. En Norvège, le troll est une engeance d'une autre envergure. Stupide, puant, très laid, il détruit les cultures, les forêts et les villages. Officiellement, la chasse n'est pas ouverte. Le gouvernement va même jusqu'à nier son existence. Une équipe de jeunes cinéastes, dont seules quelques images nous sont parvenues, ont cependant découvert le pot aux roses. C'est bien sur, le pitch du film Troll Hunter, un film norvégien de 2010, d'André Ovredal. Quatre étudiants journalistes suivent le travail d'un vieux fonctionnaire, chasseur officieux de troll, qui se plaint de la paye et des horaires, et flingue du troll comme il irait au bureau. Rien ne se passe comme prévu dans cette histoire bien plus originale que Blair Witch Project, et autrement plus futée que le grosse machine Cloverfield du surévalué JJ Adams (le scénariste de la bonne série Lost) en camera subjective. Intégrer des images spectaculaires, effets spéciaux réussis, dans le quotidien rendu crédible par la caméra maladroite, c'est le pari gagnant de ce film passé inaperçu. Devant ce faux documentaire, notre incrédulité goguenarde pourrait bien laisser s'installer le doute.
A bon conte.
Quand les scénaristes américains sont à court d'idées, le choix des armes permet de compenser (pensent-ils). C'est une constante du cinéma étasunien que de faire parler la poudre là où les acteurs n'ont rien à dire. Dès lors, peu importe ce qu'on raconte, puisqu'on s'adresse au pop-corn que vous ingurgitez comme seul élément identifiable de votre activité cérébrale. Le pain d'épice ? si vous préférez. La maison toute entière pendant qu'on y est. Celle qui va piéger Hansel et Gretel, dans le conte de Grimm du même nom. Jeremy Renner et Gemma Arterton sont frère et soeur, ils ont grandi, et n'ont pas digéré leur enfance, encore moins les sucreries et les sorcières. Comme cette charmante époque (moyennement moyenâgeuse) est le théâtre de l'obscurantisme et des peurs paysannes, on y croise ici des manants, et là des gens d'armes de diverses origines. Un shérif et un maire dans un village qui évoque Nottingham et Robin (des Bois), pour une légende franchement germanique à l'origine. Mais bon, N'est pas Tim Burton qui veut. La chasse aux sorcières est donc ouverte, laissant libre court à l'utilisation d'armes hétéroclites, et cependant photogéniques. On se demande ce que les deux acteurs prometteurs fichent là, on aime bien la prestation du troll et la maison en bonbons, et finalement on est bien forcé de trouver ça cool, tombant d'accord avec notre seau de pop-corn. Puisque le catalogue Marvel est bientôt épuisé, on n'a pas fini de faire les fonds de tiroir des contes populaires. Sortie prochaine de Jack et le haricot magique (ou le tueur de géants ? ).
Faute de grives.
Le cinéma nous a habitué aux poursuites en tout genre. La chasse à l'homme étant largement en tête de liste. La variable étant le prédateur. Policiers, truands, psychopathes, aliens sont aux trousses en général d'un imprudent qui a mis son nez où il ne fallait pas. Cary Grant doit courir un long moment sur les chemins semés d'embûches par Alfred Hitchkock, dont un champ de maïs célèbre, avant de comprendre pourquoi. Un des premiers films où le gibier est humain, réalisé en 1932, commence par un naufrage aux abords d'une île que possède le comte Zaroff. Joël MacCrea et Fay Wray sont les rescapés, et les prochaines cibles du chasseur psychopathe, qui attire les bateaux sur les récifs de l'île. Traqués comme des bêtes sauvages, les personnages n'ont d'autre issue que de le devenir. Fay Wray est la jeune femme dont King Kong tombe amoureux en 1933. L'un des réalisateurs des Chasses du Comte Zaroff est Ernest B. Shoedsack, aux manettes également pour King Kong. Probablement la référence de ce genre de film.
En série.
Les tueurs en série ont fait les beaux jours du cinéma. L'ambivalence du psychopathe permet des rôles de composition fascinants qui parviennent souvent à attirer l'empathie du spectateur. Jamais on a réussi à incarner la pulsion dévorante qui fait d'un homme ordinaire un prédateur halluciné, comme Peter Lorre dans le chef d'oeuvre de Fritz Lang, M le Maudit. 1931. Parvenir à saisir la part d'humanité de ce pédophile criminel, pour en faire la proie d'une société avide de vengeance (le nazisme en marche), y compris les truands à qui la police fait du tort, c'est le tour de force de Lang, qui conclut son film par une parodie de jugement dans la cour des miracles.
80 années plus tard, la Corée remet le couvert. Mais cette fois les règles changent. J'ai rencontré le Diable est bien une chasse à l'homme. Un policier poursuit un serial killer. Parmi les victimes, sa fiancée. Schéma classique de vengeance, autorisant tous les excès. Le tueur torture et découpe ses victimes (Choi Min-Sik, déjà indestructible dans Old Boy). Son poursuivant est agent secret (Lee Byung-Hun, déjà vu dans le génial Le bon, La brute et le Cinglé ), rompu aux techniques de la traque, habité par un désir indéfectible de faire subir le pire au tueur. Un film mêlant le fantastique à l'horreur, gore à souhait, sur un rythme effréné, ne vous laissant aucun répit.
Chaque fois qu'il siffle (Peer Gynt), c'est qu'il chasse
Maudit.
Le film de Thomas Winterberg, La Chasse, a quelque chose à voir avec le film de Fritz Lang, M le Maudit. Mads Mikkelsen, en contre emploi (il était Le Chiffre dans Casino Royale ), est victime de la suspicion ambiante (quelquefois justifiée) sur ses relations avec une petite fille, dans un village du Danemark profond. Divorcé, il tente de retrouver son équilibre en travaillant dans une crèche, où il s'investit à fond. Intégré dans la communauté des villageois, les mots d'une enfant, relayés par ceux des adultes aux aguets, vont le précipiter dans une spirale infernale le conduisant au ban de la petite société. Lorsque l'enfant parle, le postulat actuellement admis est qu'il dit la vérité. Un mensonge innocent qui fait de Lucas le bouc émissaire de tous les ressentiments du village. Le contrepied du film de Fritz Lang, mais le personnage qu'on sait innocent, y est aussi la cible de la vindicte populaire.
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