La mémoire est probablement ce que notre cerveau fait de mieux. Sélective dit-on, elle s'apparente au gruyère en ce qu'elle présente souvent des trous, dont la taille détermine notre capacité à nous adapter aux événements en les classant en connus et inconnus.

Mémoire individuelle donc, mais mémoire collective aussi. Ce qui n'émerge pas, demeure inconscient, gardant toutefois une place importante dans nos comportements. 

          

    Isabelle Carré est une charmante amnésique dans ce premier film de Zabou Breitman de 2002.

Un état incompatible avec le fameux Devoir de Mémoire qu'on ressasse à l'envi à chacune des dates "souvenirs" des nombreuses guerres, massacres, holocaustes, résumés en "crimes contre l'humanité". Il y a donc désormais des criminels "de guerre", assimilés à ceux de droit commun, qui se retrouvent à la barre d'un tribumal ( pénal international ). Un bémol à ce progrès: les complices de ces criminels sont beaucoup plus nombreux que pour un simple casse. Parfois une population entière. Et ils en sont souvent encore les héros. Un petit coup d'oeil dans le rétro s'impose avant de passer la ligne jaune une fois de plus.

Vingt ans après.

Sarajevo. Le siège de 92. Je corrige: de 1992. En Avril, ça fait 20 ans que débutèrent les trois années d'encerclement et de pilonnage de cette ville à l'histoire chargée. Trois années où une population apprit à zigzaguer entre les balles des sniper et des roquettes, pas toujours avec succès. 11541 chaises rouges ont été symboliquement disposées sur l'avenue Tito, surnommée à cette époque "Sniper alley".

                 rue Tito

Tito, le président de l'ex-Yougoslavie, en place à la fin de la seconde guerre mondiale, ne lâcha pas la barre jusqu'à sa mort en 1980. Pas très pote avec Staline, il fit de la Yougoslavie un des pays "non alignés", une aubaine pour les états en guerre froide avec l'Union Soviétique. On imagine bien les marchandages et les exactions qui y furent perpétrés. 

Pour situer un peu mieux Sarajevo, souvenons-nous qu'en 1914, c'est là que naît le prétexte de la Première guerre mondiale. Six ans auparavant elle est annexée par l'Autriche-Hongrie. Un attentat terroriste commandité par les Serbes met fin à la vie de François Ferdinand l'héritier du vieil empereur d'Autriche François Joseph(le mari de Sissi, déjà assassinée ), en juin 1914. L'autre Empereur, Guillaume 2, celui de Berlin, n'est pas difficile à convaincre pour écrabouiller la Serbie. Et tout le monde s'en mêle. Mais la résistance serbe est plus forte que prévue...  

A la mort du dictateur Tito, les dissenssions renaîssent. Clairement trois clans s'affrontent déjà au pouvoir. Les Serbes, les Croates et les Musulmans (Cette région fut pendant des siècles une province ottomane). Mais à partir de 1989 le président s'appelle Milosevic, et il est Serbe.  

En 1989, les troupes soviétiques rentrent lessivées d'Afghanistan. En Novembre, c'est la chute du mur de Berlin (en place depuis 1961 !), et la fin du bloc de l'Est, parfois de façon brutale (la mort de Ceausescu, le roumain). 

Les provinces se resserrent, les "ethnies" se précisent, et malheureusement les deux ne coïncident pas. Il faut donc annexer, faire le ménage, et regrouper. Prendre son indépendance, pour devenir Serbie, Croatie, Bosnie, etc... mais pas encore Kosovo.

Une guerre civile qui frise les 100000 morts, des pratiques qu'on croyait révolues (devoir de mémoire ?), concentration et génocide, des gueules de l'emploi pour les criminels de guerre, l'usage de "milices" privées où certains viennent apporter leur savoir-faire, voire se défouler.

               ron haviv 1

Le président en poste pendant cette période, c'est Slobodan Milosevic. De 1989 (la chute du mur) à 2000, à l'origine d'une politique nationaliste ethnique, et des "guerres"  menées de 92 à 96. Il faudra six ans pour qu'on reconnaîsse sa responsabilité dans les "nettoyages ethniques", après qu'il ait signé les accords de Dayton, en 1995.

accord de Dayton

C'est le premier chef d'état a être inculpé par un tribunal. Le procès débute en 2002. À La Haye. 

Et s'arrête en 2006, à la mort de Milosevic. Ses funérailles ont lieu à Belgrade devant 50000 fidèles.

Il y aura d'autres inculpations parmi les "chefs de guerre" serbes: Karadzic et Mladic.

 

Au Pays du Sang et du Miel

Et Sarajevo ? Les déplacements de population ont abouti à une situation sans issue. Chaque communauté repliée sur elle-même, haïssant celle d'en face, et se rejetant la responsabilité des massacres. Un gouvernement où se reflètent ces divisions, sans un regard pour les problèmes économiques qui plombent l'avenir des ces "cantons". Les chefs de guerre font partie de ce pouvoir multicéphale (plus de 100 ministres !), le chômage bat des records, et le Kosovo veut toujours son indépendance.

Les questions d'identité sont elles incompatibles avec le "vivre ensemble" ? Dès lors que les dimensions religieuses, et ethniques sont au centre des débats, l'Autre devient à la fois identifiable et incompatible. Pour un dictateur c'est commode, pour les marchands d'armes aussi. Pour le Pays du Sang et du Miel c'est pas très joli.

Et pourtant, là où on ne l'attendait pas Angelina Jolie réalise son premier film. Tourné en Bosnie avec des acteurs de l'ex-Yougoslavie, en Serbo-Croate, cette histoire d'amour entre deux jeunes gens, Ajla la musulmane, et Danijel le serbe, sert de pretexte à un rappel des atrocités commises sur les femmes (en majorité musulmanes) pendant le conflit.

Elle est internée dans un camp dont le commandant se trouve être Danijel. Parti pris scénaristique généreux, qui fait la part belle aux événements. Durs, sans concessions. On peut facilement imaginer la polémique qu'il a déclenché dans ce pays où Angelina Jolie a eu le culot de le montrer en avant-première ! 

Tout ce qui peut rafraîchir notre mémoire est utile. Mieux qu'un documentaire, même si ce film est bien américain, il n'en reste pas moins audacieux et nécessaire.

Parfaitement. Angelina.
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