DE ROUILLE ET D'OS
Plus de 81 millions d'Euro ont été récoltés par le Téléthon 2012. C'est moins que l'année dernière, mais l'intérêt pour les handicapés ne mollit pas. Le succès des jeux paralympiques confirme la tendance. Faut-il y voir l'effet "Intouchables" ou plus récemment "De rouille et d'Os" ? Omar Sy et Marion Cotillard seraient-ils les ambassadeurs involontaires d'une noble cause dont les remèdes se font de plus en plus attendre?
Jambes de bois.
Largement servi par des effets spéciaux bluffant, le dernier film de Jacques Audiard a failli casser la baraque à Cannes. Mais non. "Amour" de Michaël Haneke, le lauréat, joue dans un autre registre, celui de la vieillesse et de la mort. Qu'on peut voir comme la forme ultime du handicap. Cotillard encore. On est loin de la môme, exception faite des postiches. Si le lourd maquillage à la Piaf frisait parfois le ridicule, l'art des prothèses est cette fois plutôt réussi. Un gros travail du côté des effets spéciaux finit par nous persuader que Marion Cotillard n'a plus de jambes ! Et quand elle retrouve l'usage de la marche, il n'est pas question de jambes de bois. La technologie au service du handicap. Qu'on se fasse boulotter par un orque ou qu'on revienne d'Afghanistan, chaque fois que c'est possible, on peut espérer rejoindre la tribu de l'homo erectus. Voire de faire du sport, et de battre des records.
C'est le cas de Maya Nakanishi, la championne japonaise du 200 m et du saut en longueur. Comme si son handicap ne suffisait pas, à la pêche aux sponsors pour se présenter aux jeux, elle a décidé de réaliser un calendrier où elle pose à poil. Franchement ? allez une autre:
Langue de bois
Maya la belle et la graine d'Oscar Cotillard sont l'arbre médiatique qui cache la forêt de ceux qu'on n'appelle plus des infirmes, à l'instar des autistes dont le petit groupe Asperger se veut l'ambassadeur. François Cluzet incarne un tétraplégique, mais milliardaire. Le syndrome d'Asperger est bien une forme de l'autisme, mais certains d'entr'eux sont des virtuoses, là où la plupart voient dans les sourires des autres un mystère insondable. Tous les espoirs seraient permis ? La robotique la clé du handicap et la rééducation la fin de l'autisme ? Accéder à la compétition, pouvoir se doper, tricher comme les vedettes. Oscar Pritorius le Sud-Africain avec ses prothèses kangourou a montré cet été qu'il pouvait faire aussi bien que les valides, se battre pour un titre à la Copé. Les handicapés devraient-ils se contenter de la part des anges?
Pieds nickelés
Les marginaux peuplent les films de Ken Loach, et le cinéaste ne nous a pas habitué à la comédie. Prix du jury 2012, La Part des anges est un road movie en kilt assez réjouissant. La précarité, celle du rien à perdre, peut être à l'origine d'entreprises où tout est à gagner. Au fond c'est bien le moteur du capitalisme. Faire du fric sur du vent. Celui qui fait voler les kilts de nos pieds nickelés écossais, tous condamnés à des travaux d'intérêts généraux. Une arnaque sur fond de Whisky hors d'âge et hors de prix. Des laissés pour compte qui commencent à faire les leurs, mais sans plan de carrière, et un manque évident de sérieux. La démarche n'est pas révolutionnaire, elle tient surtout de la démerde. Il n'est pas encore question du Grand Soir.
Comment mieux incarner le handicap qu'avec un punk à chien et son frère, employé frustré vendeur de matelas ? Benoit Delépine et Gustave Kervern, anciens de Groland, sont aux manettes du Grand Soir, prix du jury un certain regard à Cannes cette année. Benoit Poelvoorde et Albert Dupontel ne cessent de se cogner aux règles du monde moderne, en l'occurrence celles d'une zone commerciale que nous connaissons tous. Pas facile d'être un marginal, de dormir dehors ou d'être foutu dehors.
We are not dead, écrivent à la fin nos héros avec les lettres des enseignes des magasins du centre. Une révolution dérisoire mais salutaire, bras d'honneur ultime de ces hommes qui refusent de marcher au pas. Un écart de côté, c'est ce que Not le punk enseigne à son frère, fraichement débarrassé de ses oripeaux de petit cadre. Et c'est la rage qui guide les pas de nos deux frères handicapés vers le maquis, à la manière de Depardieu et Dewaere dans les Valseuses de Blier en 1974. Depardieu qui était le héros de Mammuth, le film précédent de Delépine et Kervern, dans un rôle de marginal qui veut récupérer sa retraite. Le même qui rend son passeport aujourd'hui, façon easy rider ?
En fauteuil roulant ou derrière un caddy, sur des prothèses ou au fond d'un lit sous oxygène, le handicapé en bave. N'oubliez pas avec le chèque pour le Telethon de faire un petit pas de côté...avant qu'il ne reste plus que de la rouille et des os.