DE L'ART OU DU COCHON
Chose promise chose due. Je viens de terminer Belle et Bête de Marcela Iacub. Cochon qui s'en dédie.
Commençons par un extrait du répertoire de la chançon française populaire, intitulé "La rirette", dans le but de donner du sens à cet exposé que les esprits chagrins que je devine parmi vous, pourraient bouder.
Une comptine aseptisée qui ne se termine pas vraiment comme ça. Ne faîtes pas les innocents. Allez, tous ensemble: "la morale de cette histoire, la rirette la rirette, c'est que les hommes sont des cochons. La morale de cette morale, la rirette la rirette, c'est que les femmes aiment les cochons".
La faute à Voltaire
En forme de confessions, où elle avoue ses péchés, c'est la faute à Rousseau, Marcela Iacub se retrouve seule contre tous, c'est la faute à Voltaire. Elle péche par orgueil, en prenant la défense de celui que les medias condamnaient à l'unanimité, étrangement portée par la fascination plus que par son imparable approche sociologique ."Et à mes yeux , c'était si flatteur de jouer au Christ, de se prendre pour Voltaire". C'est tentant de le croire quand on la suit dans son appartement où elle vivrait comme une nonne, "une vie sans présent, une vie sans chair ni sang. Une vie dont la seule vraie ferveur est l'écriture. Mon écriture. Cette opération qui consiste à me transformer en l'objet de ma propre passion. A arracher de moi des choses que j'ignore posséder."
Dangereuse
Ces quelques mois à tenter de percer le mystère du cochon qui sommeille dans l'homme sans charmes, en attisant son désir, le sésame de sa métamorphose. Et la curiosité s'efface au profit de l'amour, de la déraison amoureuse, des excès de la passion, de la fantaisie intime. Et c'était pourtant une rencontre planifiée, pariant sur le bluff et la surprise, décidée de sang-froid. "Tu ignorais que la femme la plus dangereuse que tu aurais pu fréquenter, c'était moi". Et le piège a foiré. Ce qui commençait comme une enquête se met soudain à patiner, à glisser dans une autre dimension, humoristique et fantastique, un récit fait d'autodérision, Marcela Iacub se pastichant elle-même. "Mais j'ai fini par céder, j'allais le regretter pour longtemps."
Petite mort
Une romance sous hypnose, à l'érotisme cannibale. Manger, dévorer, "le cochon a besoin de dégrader, de souiller, de détruire symboliquement l'objet de son amour". Se faire manger conférant un état d'abandon assez proche finalement de celui de l'orgasme, apparenté à la pulsion de mort. Une "petite mort" à l'attraction irrésistible, pour celle dont " la fonction dans la vie est d'inventer tout le temps des choses, des théories et des mondes avec l'écriture". Lâcher prise, se laisser vider le cerveau de son contenu, de ses souvenirs , "être une truie dans le rêve interminable d'un porc". Tout abandonner a des allures de suicide quelquefois, sauf chez le cochon, avatar pervers ou double inversé de l'homme insignifiant. Un cochon au puissant pouvoir, comme de liquéfier les femmes, de les soumettre par un discours voluptueux. "Ton plus grand bonheur était de m'inventer, de me rêver, de me raconter. J'avais le sentiment que mon existence dépendait de ta pensée. Que je pourrais enfin prendre congé de moi-même". Une addiction mortifère, sans issue, hors l'écriture.
Cauchemar
Un projet aléatoire qui vire au cauchemar pour Iacub/Voltaire sous l'emprise du cochon, entrainée dans les tréfonds du désir, avec "cette folle envie de jouir" que paradoxalement (?) elle développe dans un de ses derniers articles de Libé , concluant Jouir c'est vivre.
Mais ce livre est beaucoup plus que ça. Pas simplement une étude du cochon, mais bien d'un cochon. Celui qui a obtenu un encart dans chaque exemplaire précisant qu'il y a atteinte à sa vie privée. C'est l'homme insignifiant qui réagit, car le cochon, lui, "... n'appartient à personne, pas même pour quelques heures, pour quelques minutes, pour quelques secondes. Il n' a que son désir pour maître". Une lutte à mort,aussi violente et douloureuse que celle du schizophrène incapable de faire la part entre ses émotions, sa pensée et le monde extérieur.
L'échec du pari de Marcela Iacub a accouché d'un livre, un récit brillant, drôle et fantasque. Et vivre une passion avec un cochon ne lui suffisait pas. Il lui fallait le roi des cochons.
Le maître étalon .
Extraits du livre de Marcela Iacub. Belle et Bête. Stock.