Maldoror
"Il y en a qui écrivent pour rechercher les applaudissements humains, au moyen des nobles qualité du coeur que l'imagination invente ou qu'ils peuvent avoir. Moi, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté ! Délices non passagères, artificielles ; mais, qui ont commencé avec l'homme, finiront avec lui. Le génie ne peut-il s'allier avec la cruauté dans les résolutions secrètes de la providence ? ou parce qu'on est cruel, ne peut-on avoir du génie ?"
Sade ? non non, cherchez encore.
"On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze jours. Oh ! comme il est doux d'arracher brutalement de son lit un enfant qui n'a rien encore sur la lèvre supérieure, et, avec les yeux très ouverts, de faire semblant de passer suavement la main sur son front, en inclinant en arrière ses beaux cheveux ! Puis, tout à coup, au moment où il s'y attend le moins, d'enfoncer les ongles longs dans sa poitrine molle, de façon qu'il ne meure pas ; car, s'il mourait, on n'aurait pas plus tard l'aspect de ses misères. Ensuite on boit le sang en léchant les blessures..."
On reste dans la noblesse. Mais il n'est pas marquis. Comte, c'est mieux quand il s'agit de raconter des histoires. Le comte de Lautréamont, écrit les chants de Maldoror en 1869, et franchement personne ne veut le publier. Pousser le bouchon, sortir des stéréotypes de pensée traditionnelle , vous flanquer les chocottes, et peut-être vous amener à penser "par vous-même", c'est un peu le fond de commerce d'Isidore Ducasse, son vrai nom, qui meurt l'année d'après, à 24 ans.
HERVE LE CORRE.
Un des avantages du simple lecteur, que je suis, c'est de ne pas être soumis à l'actualité. Il faut ajouter, et n'y voyez pas de fausse modestie, que l'heure de la promotion est passée. Hervé Le Corre est au dessus de ça, enfin je veux le croire. Comme sur Lautréamont, je sais peu de choses à son sujet, et seuls ses écrits me passionnent.
Un polar. l'homme aux lèvres de saphir (2004). Des meurtres en série, un commissaire, et le héros pris au milieu de la tempête. Etienne, Nicolas et les femmes.
Un monde, celui de 1870, encore sous l'empire de Napoléon 3, juste avant la guerre de 70, contre les prussiens, qui finiront par faire le siège de Paris.
Paris où circulent les calèches, les hommes en haut de forme, et les femmes en crinoline, tandis que les prolétaires triment, que les truands complotent et que les putains sont en maraude. Les rues de Paris, de la roquette (la prison) au Père Lachaise (le cimetière). Puis la nuit tombe, les becs de gaz la ramassent, mais les zones d'ombre sont propices à l'éveil des consciences. Les bourgeois sont au bordel, les ouvriers au bistro en train de boire des bocks, de danser avec les filles dans les cabarets, la sociale pointe son nez dans des réunions secrètes, tandis que le crime rôde. C'est l'heure où l'inconscient s'allume avec les réverbères.
Etienne, venu de sa province, va se forger une conscience. De classe, mais aussi de coeur. Il y a de l'Etienne Lantier dans ce héros ordinaire, au moins l'image que nous en donne le film Germinal sous les traits de Renaud. On songe aux Mystères de Paris, d'Eugène Sue, pour les décors de la ville. Et Le Corre y place Hannibal Lecter, le personnage de Thomas Harry.
L'amour et la mort naviguent dans les mêmes eaux. Les écueils sont invisibles, sauf en cas de gros temps. Tous les protagonistes de l'histoire sont à la même enseigne, sur le même bateau, ignorant que sous la surface, un monstre va surgir de vingt mille lieues sous les mer. Animé d'une folie obsessionnelle, d'une mission à remplir, nul ne sait qu'il est indestructible. Sauf le lecteur.
Dans cette période troublée, mais c'est un pléonasme, les remous de l'histoire et la misère s'associent pour qu'adviennent des mouvements sociaux, la plupart du temps voués aux massacres. Le grand soir c'est toujours pour demain. Comme Lautréamont qui devra attendre les surréalistes pour que ce qu'on prenait pour une apologie de l'horreur trouve enfin son sens.
La folie criminelle s'empare toujours d'un flambeau, d'une idée, d'une religion.
"Les meurtriers, en un mot, sont dans la nature comme la peste et la famine ; ils sont un des moyens de la nature, comme tous les fléaux dont elle nous accable. Ainsi, lorsque l'on ose dire qu'un assassin offense la nature, on dit une absurdité aussi grande que si l'on disait que la peste, la guerre ou la famine irritent la nature ou commettent des crimes ; c'est absolument la même chose."
Ce n'est pas de Lautréamont. Cette fois c'est bien de Sade, dans l'histoire de Juliette, en 1801.
Et Le Corre parvient à nous rendre le meurtrier humain, malgré les horreurs qu'il commet, on l'attend à chaque page, on connait ses faiblesses, sa dextérité, sa force. Le héros de ce livre est une bête de scène, un interprète parfait. Il connait son texte sur le bout de doigts, les chants de Maldoror, c'est le rôle de sa vie et la fin pour les autres. Les autres font ce qu'ils peuvent, embarrassés par leur solitude, contraints de s'associer, avec des amis, et le plus souvent des femmes. Le monstre n'a qu'une associée : la mort. Et sa mise en scène. Le destin des hommes, lui, est gouverné par le principe d'incertitude, pour certains par le hasard et la nécessité, bref c'est la faute à pas de chances.
Dans les histoires de Hervé Le Corre, les héros sont fatigués, personne n'est parfait, et la lisière entre le bien et le mal, incertaine, fragile. Souvent dans les polars, la cavalerie finit toujours par arriver, la vengeance est au bout du flingue, la raison du plus fort, etc etc et la fin qu'on redoutait, l'auteur nous prévient à tout bout de phrases, nous prend comme des enfants que nous sommes, formatés Rambo. Hervé Le Corre fait dans l'humain, avec un style unique.
Il ne me reste qu'un Le Corre : Derniers retranchements (2011).
On en reparlera. Et des autres aussi.